Art et psychanalyse
La psychanalyse
partage avec
l'art l'ambition
de transformer
la jouissance.
L'art en fait
chiffre, signe,
image ou
sculpture ; la
psychanalyse
déchiffre la
jouissance et
doit pour cela
passer par
l'inconscient
pour interpréter
et traiter le
symptôme.
Dans la névrose,
la jouissance
est vécue comme
un excès qui
cause
l'angoisse. Le
sujet lui donne
alors une
connotation
négative, il
craint que la
castration ne
réponde à son
jouir. L'art
nous offre, par
contre un champ
où cet excès et
cette négativité
paraissent
apprivoisés.
Ainsi Lacan
affirme-t-il du
peintre : « il
donne quelque
chose en pâture
à l'oeil, mais
il invite celui
auquel le
tableau est
présenté à
déposer là son
regard, comme on
dépose les armes
[1] ».
Mais il arrive
aussi que l'art
exacerbe
l'angoisse,
qu'il refuse de
servir la
pacification et
nous renvoie à
la souffrance, à
la terreur, à la
vie menacée.
Pourtant, même
dans ce cas, il
ne procède pas
sans réflexion.
S'il évoque
l'insoutenable
il le donne
aussi à penser.
« Le
psychanalyste
n'éprouve que
rarement
l'impulsion de
se livrer à des
investigations
esthétiques »,
affirme Freud au
début de
L'inquiétante
étrangeté
(1919). Il ne
pouvait pourtant
pas s'abstenir
de faire des
recherches sur
l'art.
Pourquoi ? Il
répond à cette
question dans
son article « Le
Moïse de
Michel-Ange »
(1914), en
déclarant qu'il
voulait saisir
pourquoi des
œuvres poétiques
ou les arts
plastiques, plus
rarement la
peinture,
exerçaient sur
lui un « fort
effet ». Il
croyait donc
pouvoir produire
un savoir sur la
jouissance que
lui procuraient
ces œuvres
d'art.
La psychanalyse
n'a pas
seulement
affaire aux
pulsions et aux
affects
refoulés, elle
est aussi
concernée par la
sensibilité.
Ainsi Freud ne
limite pas
l'esthétique à
la « théorie du
beau » mais la
définit aussi
comme « la
théorie des
qualités de
notre
sensibilité
[2] ».
Lacan ne dit pas
autre chose
quand il
enseigne à ses
élèves que
l'esthétique
« c'est ce que
vous sentez »,
en précisant
qu'elle n'est
pas
transcendantale
[3]. Il la
réfère plutôt au
corps, mais pas
à n'importe
lequel.
Appartenant à la
dimension de
l'Imaginaire, ce
corps est aussi
lié au
Symbolique et au
Réel [4]. Des
historiens
d'art, tels que
Daniel Arasse ou
Hubert Damisch
mais aussi un
philosophe comme
Slavoj Zizek se
sont inspirés de
cette idée d'une
esthétique qui
ne refoule pas
le corps.
Or, ni dans la
psychanalyse ni
dans l'art, le
corps ne saurait
être abordé de
manière naïve.
Décerné par le
langage comme un
lieu où se
produit le sens,
c'est un corps
complexe :
morcelé,
désirant, sexué,
ce corps est
devenu depuis
longtemps un
objet de la
science.
Celle-ci met sa
singularité en
question quand
elle le branche
sur le monde
virtuel.
La psychanalyse
ne s'applique
pas à l'art mais
au symptôme
clinique qui est
l'expression
d'une
satisfaction
sauvage et
douloureuse de
la pulsion. Dans
l'art se créent
des oeuvres qui
sont, elles
aussi, des
symptômes
puisqu'il faut
les déchiffrer.
Mais ces
symptômes
éveillent nos
désirs en
proposant des
langages et
images nouveaux
à notre
sensibilité. Ils
nous donnent
ainsi des
aperçus sur les
régions les plus
opaques de notre
propre
jouissance.
Franz Kaltenbeck
--------------------------------------------------------------------------------
[1] Jacques
Lacan, Le
Séminaire. Livre
XI. Les quatre
concepts
fondamentaux de
la psychanalyse.
Paris, 1973, p.
93. [2]
L'Inquiétante
étrangeté,
traduit de
l'allemand par
Bernard Féron,
Paris, 1985,
Gallimard, p.
213. [3] Au sens
de l'esthétique
transcendantale
de Kant. [4]
Jacques Lacan,
« R.S.I. »,
Séminaire inédit
1974-1975, Leçon
du 18 mars 1975.