L'origine du Monde / Courbet

 

 

Il y a quelque temps quand je m'interrogeais sur ce que pouvait bien vouloir dire "trou" dans le jargon psychanalytique, on m'en montra un. "L'origine du monde" de Gustave Courbet. On me parlait alors de Réel, de non-symbolisable, mais je n'étais pas armée.

N’ayant su que penser d’une association aussi quelconque, de la part de quelqu’un que je tenais en haute estime, entre un sexe de femme et un trou, je remis à plus tard mes investigations. Aussi, forte des quelques connaissances acquises depuis en matière de RSI, bravant la grippe, je me pointe donc au Grand Palais. Il ne reste que quelques jours, le 28 janvier ce sera terminé.

 Accompagnée d’un frère de crève, nous parcourons, c’est le mot juste, les salles. Nous accrochant à plaisir sur nos différences d’appréciation des œuvres exposées.  Lui glousse comme un vieux dindon devant les chairs laiteuses dans des poses alanguies. Je reste sensible aux tableaux de chasse et aux natures mortes. Pas tant parce que je suis en mesure d’en apprécier la technique ni que j’aime la chasse ou les truites agonisantes.  Ce qui me  touche c’est ce que dit Courbet de lui-même en dépeignant ces êtres souffrants, finis.

Les salles s’enchainent, puis, entre parenthèses, très concrètement, puisque ce sont bien deux murs en arc-de-cercle, nous voila là ou se trouve exposé quelque chose précédé d’un avertissement à ceux qui s’apprêtent à y entrer.Le tableau considéré comme le nu le plus scandaleux qui ait jamais été peint, et également comme un des trois ou quatre plus grands ­tableaux de l'histoire de la peinture est une toile aux dimensions modestes : 46x55.

Le "nu le plus nu" n’est pas si nu que ça, bien que plus cru que les reproductions photographiques que j’en ai vu jusqu’ici. A ses côtés, le tableau de Masson, cache-sexe commandé par Lacan. À l’époque de la réalisation du tableau, le modèle préféré de Courbet était une jeune femme, Joanna Hiffernan, dite Jo. C’est son amant James Whistler, peintre américain admirateur et disciple de Courbet, qui l’avait prêtée à Courbet.

Khalil-Bey est un riche collectionneur ottoman pour qui Courbet compose deux merveilles interdites : « Le Sommeil » et « l’Origine ». « L’Origine », après la vente de la collection de Khalil-Bey, disparaît. Le tableau est caché, alors, derrière un autre tableau de Courbet. L’autre grand amateur et collectionneur qui va s’en emparer est un Hongrois, le baron Havatny, et nous voici à Budapest. A l’arrivée des nazis « l’Origine » est cachée, sous un nom d’emprunt (Havatny est juif), dans une banque. Les nazis font main basse sur tous les biens juifs, mais passent à côté de la plaque (tête de Goering ou Hitler s’ils avaient vu ça). Les Russes débarquent : eux, ils pillent tout, « l’Origine » se retrouvant ainsi derrière le rideau de fer de Staline (tête des vertueux communistes s’ils avaient eu le temps de regarder de près leur razzia). Nous retrouvons ainsi Eichmann, tout près du secret, et, plus heureusement, un officier de l’Armée rouge corrompu à qui Havatny rachète son tableau de rêve. Ensuite, de nouveau, plongée. Et puis réapparition à Paris, et pas chez n’importe qui.

Chez Lacan le tableau dispose d’un mécanisme permettant de le cacher mais pas n'importe comment, d'une façon particulièrement élaborée. Ce tableau gardait ainsi toute sa présence malgré son absence aux regards… Masson peint un paysage qui garde les lignes générales de « l’Origine », son enveloppe formelle  

Enchâssant ainsi cette toile, Lacan acquiesce à l’obscène et d’un même pas tempère son « oui ». Il décide, non de subir l’obscène, mais de le choisir. Refusant de se laisser surprendre, diviser, forcer, tout se passe comme si, en tant que spectateur, il voulait garder la main sur le spectacle. Pour qu’il y ait de l’obscène, il faut qu’existe une volonté de le montrer, que celle-ci soit commerciale ou artistique.

Secouée de frissons de la fièvre, un peu en retrait, je regarde se masser les gens devant le tableau et écoute sourdre d’eux quelque chose qui serait quand même du côté de la gène, du scandale… J’ai pas tout compris, ni à propos des parenthèses, ni de l’avertissement, ni des œillets à travers lesquels ont peut voir seulement à hauteur d’yeux d’adulte quelques photos de foufounes d’époque. Du coup, contempler les spectateurs de dos, face au tableau honni était particulièrement intéressant.

Inutile de se voiler la face, notre curiosité envers les images, la pulsion scopique est toujours d'ordre sexuel - tout ce qu'on y cherche c'est finalement le sexe, la scène primitive et tout particulièrement le sexe féminin.

Courbet le peintre, mais aussi Courbet le politique fortement engagé aux côtés des communards, est arrêté après la Semaine sanglante le 7 juin 1871, et le 3e conseil de guerre le condamne à six mois de prison — qu'il purgera à Paris, à Versailles et à Neuilly — et à 500 francs d'amende.

Il s'installe dans une maison au bord du lac du nom de Bon-Port. Ce sera le port d'attache des dernières années de sa vie. Il s'analysait finement dans une lettre à Alfred Bruyas, son ami et protecteur des années 1850, en disant: "Avec ce masque riant que vous me connaissez, je cache à l'intérieur le chagrin, l'amertume et une tristesse qui s'attache au cœur comme un vampire". Courbet enduisait sa toile d’un fond sombre, presque noir, à partir duquel il remontait vers la clarté

Ces dispositions le rendent évidemment extrêmement vulnérable et expliquent ce continuel va-et-vient entre un optimisme de façade et une secrète tendance à l'abattement. Ce trait de sa personnalité n'est pas apparu subitement pendant l'exil: la tonalité sombre de sa peinture, son goût pour les grottes et les gorges ainsi que les nombreux autoportraits (en blessé, en désespéré) qui jalonnent son œuvre en témoignent. Toute sa vie Courbet a cultivé son indépendance (artistique, sociale et familiale) et la liberté qui en découle a toujours eu son pendant: la solitude. Elle est d'autant plus sensible maintenant qu'il est déraciné.

« L’Origine du monde » a inspiré Ornan qui a commis « L'Origine de la Guerre ».  

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