La Monomane de l’envie ou La Hyène de la Salpêtrière
Théodore Géricault (1791 – 1824)
Musée des Beaux-Arts, Lyon
... La fameuse série des cinq monomanes : la monomane du jeu, la monomane du vol, le monomane du commandement militaire et le monomane du vol d’enfants ainsi que 10 autres portraits d’aliénés ont été semble-t-il, réalisés par Géricault sur la demande du professeur Etienne-Jean Georget, qui s’était occupé de lui alors qu’il était dans un état de « grande tension nerveuse » ; cette commande avait un objectif didactique ; il s’agissait de pouvoir présenter aux étudiants en médecine les traits caractéristiques des aliénés.
Le tableau est tout entier centré sur le corps et il n’y a rien autour de ce visage prématurément vieilli : l’accent est mis sur l’expression, les traits, le rictus, le regard.
Cette représentation correspond tout à fait aux descriptions cliniques ultérieures du figement délirant et persécuté, augmenté d’une perplexité anxieuse. La pathologie est tout entière ramassée sur l’expression du visage et de la posture. Les signes cliniques sont quasi perceptibles tant l’observation est précise et minutieuse.
Ce tableau anticipe de façon remarquable les thèses sur les caractéristiques morphologiques des malades mentaux de Lombroso et d’Ernst Kretschmer.
A la fin du XIXème siècle, le psychiatre et criminologue Lombroso décrivit les caractéristiques du grand criminel : celui-ci a des arcades sourcilières proéminentes, une capacité réduite du crâne, le front fuyant, les oreilles écartées, les lèvres minces, les os puissants, une insensibilité à la douleur.
Un peu plus tard, Ernst Kretschmer (1888-1964) a édifié une théorie biotypologique qui cherchait à établir des corrélations entre type somatique et type psychique. Il fit des études de théologie, de philosophie et de médecine aux universités de Tbingen, Munich et Hambourg. Entre 1915 et 1921, il développe le diagnostic différentiel entre schizophrénie et psychose maniaco-dépressive. Son ouvrage principal Kperbau and Charakter, publié en 1921, avance la théorie selon laquelle certains désordres mentaux étaient plus fréquents chez ceux qui présentaient des types physiques spécifiques. Kretschmer classe les individus dans un premier temps en fonction de leur morphologie : il y a le leptosome (individu maigre, avec des extrémités effilées) : l’athlétomorphe (épaules larges, chevelure épaisse, mentalité variable, violent) : le pycnique (trapu, gras, aux extrémités petites et à la musculature molle, en général chauve) : le dysplastique (peau blafarde, mains larges, bras minces). Il opère ensuite des corrélations entre ces types morphologiques et la pathologie. Le schizopthyme est associé au leptosome, le cyclothyme au pycnique, et le visqueux à l’athlétomorphe.
Les écrits de Kretschmer ne font pas référence aux tableaux de Géricault ni d’autres œuvres plus anciennes qui tentent de rendre compte de la maladie mentale ou de la mélancolie. Cependant, l’intérêt pour les liens entre la folie et sa représentation imagée reste encore une réalité encore aujourd’hui. Il n’est plus question de faire le portrait d’un schizophrène ou de montrer sa photographie pour donner des indications sur ses troubles . En revanche, une place particulière est très souvent octroyée aux productions graphiques des malades avec l’idée que leur pathologie se traduit dans leurs œuvres. Cette théorie-là, comme celle de Kretschmer, semble donner plus d’importance aux stigmates de la maladie qu’à l’homme malade.
Anne-Marie DUBOIS