Approche psychanalytique de la
relation entraîneur-entraîné :
le sport comme prétexte de la
rencontre
Sophie
Huguet
Françoise
Labridy —
Introduction
La
relation « entraîneur-entraîné » est un thème
récurrent de la recherche en psychologie
sportive. La relation intéresse les chercheurs
mais aussi les médias qui surgissent souvent
dans leur intimité. Les sportifs, eux-mêmes,
peinent à trouver les mots justes pour qualifier
les liens affectifs qui les unissent à leur
entraîneur. Dans de nombreux cas, la relation
est bien plus qu’une simple histoire de
résultats et dépasse totalement le cadre
sportif.
Alors que l’entraîneur est souvent perçu comme
un technicien, un calculateur de performance, il
soutient également une position paradoxale,
souvent délicate à assumer ; faite
d’incertitudes, de non-maîtrise de la réussite
et des contingences de la compétition
(blessures, échecs).
Dans ce contexte, l’approche psychanalytique
orientée par l’apport de Freud et l’enseignement
de Lacan présente un éclairage différent sur les
processus à l’œuvre dans la relation, l’abordant
par le registre du transfert. L’entraîneur par
la place importante (en temps, en conseil, en
savoir-pouvoir, en présence) qu’il prend pour
l’athlète favorise la remémoration des relations
affectives antérieures les plus cruciales.
Sa fonction le conduit presque nécessairement à
raviver implicitement ou explicitement pour
l’athlète un rôle pris par les parents ou un
modèle idéal adulte (voire idéalisé), de frère,
de confident auprès du sportif. La prise en
compte de l’inconscient permet de décrire la
collusion affective, qui se crée entre un
athlète et son entraîneur : au-delà du savoir
technique même, l’entraîneur est un appui
relationnel nécessaire dans la performance de
haut niveau.
C’est donc à partir du transfert, concept
élaboré dans la théorie analytique, que cette
étude questionne l’importance des relations aux
parents, comme support construisant la
particularité d’une relation entre un entraîneur
et son athlète.
Une approche psychanalytique de la relation
entraîneur-entraîné
Le corps : Un intermédiaire dans la performance
Les pratiques sportives de haut niveau sont
devenues des pratiques d’exercices du corps
poussé à outrance : le corps, lieu de
« savoir-faire » pour le sportif, n’est pas
exclusivement attaché à une notion de plaisir,
il permet d’atteindre ce que Freud a nommé un « au-delà
du principe de plaisir », une satisfaction
extrême qui confine à la douleur, également
nommée « jouissance » par Lacan ; c’est à
dire un éprouvé dépassant le seuil de
l’homéostasie.
Le corps vivant défini comme le lieu de la
satisfaction pulsionnelle est un point de
rencontre entre la psychanalyse et le sport. Le
sujet recherche par l’intermédiaire de l’acte
sportif, une satisfaction dans le dépassement
des limites de l’organisme, qui lui permet
d’éprouver des émotions paroxystiques : « vertiges,
sorties de soi » (Labridy, 1997).
De ce rapport au corps dépend la performance
qu’il désire atteindre et ses exigences vis-
à-vis de la relation avec son entraîneur. En
effet, l’entraîneur emmène le sportif vers un
idéal de performance dont ils ignorent tous les
deux les éprouvés corporels : ce passage à une
performance nouvelle est idéalisé, ce qui est
oublié c’est que le corps va franchir une limite
de jouissance ; le corps va se porter
« hors-limite », hors du déjà éprouvé, ce
qu’évoque Brousse (1993) : « Il s’attache à
ne pas être dans son corps, à en dépasser sans
cesse les limites pour se retrouver dans un
ailleurs innommable ».
La particularité de la relation réside d’abord
dans le fait qu’elle doit passer par
l’intermédiaire d’un corps, qui appartient au
sportif et qui va être en même temps dirigé par
l’entraîneur.
Une relation singulière s’installe entre deux
êtres qui désirent atteindre un idéal de
performance et où l’un pourra connaître « la
jouissance » dans sa chair, alors que l’autre
aura à la vivre par procuration. L’entraîneur
prolonge à travers la réalisation de son
entraîné, la recherche d’une satisfaction que
son propre arrêt de la compétition l’a empêché
de réaliser pour lui-même.
La prise en compte du transfert
Ce franchissement des limites corporelles
nécessite donc que les désirs de l’entraîneur et
de l’entraîné soient orientés vers les mêmes
objectifs. La perspective psychanalytique
désigne les mécanismes inconscients qui sont mis
en jeu dans la relation : Labridy (1989) y voit
« un seul acte, mais deux désirs d’être
premier qui se rencontrent ».
La performance est soutenue par la présence d’un
transfert qui opère entre eux. Le transfert,
comme l’a déclaré Freud, est inhérent à toutes
les relations humaines ; il l’a théorisé dans
ses conséquences, à partir du dispositif de la
cure analytique. Pour Freud, le transfert
constitue un support dans la cure : s’il est
positif, le médecin est revêtu « d’une grande
autorité, transforme les communications et
conceptions de ce dernier en articles de foi »,
alors que sans ce transfert le malade ne ferait
pas attention aux dires du médecin.
Freud (1881) a identifié « un trop plein
d’excitation affectueuse, souvent mêlé
d’hostilité, qui n’ont leur source ou leur
raison d’être dans aucune expérience réelle (…)
Elles dérivent d’anciens désirs devenus
inconscients » pour définir les mécanismes
du transfert.
Ainsi, les éprouvés antérieurs sont réactivés
dans une relation actuelle. Les substituts sont
souvent des représentations familiales (images
du père, mère). Dans le sport, « Un athlète
pourra ainsi répéter une suite d’échecs dans une
relation actuelle à un entraîneur, alors que ces
échecs s’adressent en fait à un père absent »
(Labridy, 1997). L’entraîneur, par
l’intermédiaire de ce transfert va subir une
sorte de sacralisation et devenir ainsi l’objet
des fantasmes de l’athlète. Mais le processus
n’est pas l’apanage de l’athlète et peut se
constater chez l’entraîneur, dans une
identification possible à son athlète car il
peut être, comme dit Kaes (1973) « habité du
rêve inconscient de réaliser dans l’autre et par
l’autre ce qui lui a manqué ». C’est ce
qu’illustre la citation de John Smith
[(2)]
(entraîneur d’Ato Bolton et Maurice Green) : « en
tant qu’athlète, je n’ai pas gagné, mais je suis
allé jusqu’aux finales. Alors j’ai dit à Bob
Larsen, entraîneur en chef à l’UCLA, qui me
proposait de l’assister : « donnes moi les
athlètes qu’il me faut. Ceux qui peuvent faire
ce que moi j’ai toujours voulu faire, mais qui
sont meilleurs que ce que je n’ai jamais été (…)
je vis viscéralement à travers ces athlètes ».
On s’aperçoit alors que le désir de l’athlète
vient prolonger celui de l’entraîneur, ce qui
est l’inverse de la situation analytique :
l’analyste ne désire rien pour l’analysant, car
c’est à l’analysant de trouver le chemin du
désir. Il y a donc la question du désir qui
entre en jeu : désir d’entraîner, désir de
s’entraîner, que l’amour peut recouvrir.
Le leurre de l’amour
En effet, Lacan (1973) insiste sur l’effet de
l’amour présent dans le mécanisme du transfert :
« La demande en soi porte sur autre chose que
sur la satisfaction qu’elle appelle. Elle est
demande d’une présence ou d’une absence (…) La
demande annule la particularité de tout ce qui
peut-être accordé en le transmuant en preuve
d’amour ». En plus du transfert, il y aurait
un effet de « leurre de l’amour » adressé au
savoir de l’entraîneur et non à l’entraîneur
lui-même. La personne, substitut d’une autre, va
être investie comme un « sujet supposé savoir ».
C’est ainsi qu’il se produit une idéalisation
par l’athlète de l’entraîneur et des
connaissances qui lui sont supposées
(infaillibles) et qui l’amèneront à devenir
champion.
Le transfert, au sens lacanien, est « une
ombre d’amour », car il masque « la
réalité pulsionnelle de l’inconscient », qui
ne cherche qu’à se réaliser dans cette nouvelle
rencontre. Le dispositif de la cure analytique
permet de repérer ces enjeux : à travers la
rencontre à l’analyste, il y a à la fois la mise
en jeu de l’inactuel mais aussi le perpétuel de
la pulsion, et son actualisation dans l’adresse
vers l’analyste. Mais dans les relations
ordinaires, la vie ne s’analyse pas, elle
s’exerce dans une dialectique affective aux
intensités variables, et il est parfois
difficile de repérer ce qui se joue pour les
partenaires : le désir d’entraîner peut
éventuellement se confondre avec les sentiments
portés aux personnes : « Être entraîneur,
c’est osciller entre une position
d’indispensable valorisé, déclenchant à ce titre
l’amour et la haine et une position de laissé
pour compte dans l’après coup du résultat ».
(Labridy, 1985).
L’effet de « leurre de l’amour » adressé au
savoir de l’entraîneur et non à l’entraîneur
lui-même peut entraîner des confusions logiques
entre la nécessité d’un appui transférentiel et
un désordre des sentiments (compréhension,
amitié, amour et sexualité). Ce leurre, explique
peut-être ce qui amène les athlètes et les
entraîneurs à avoir des relations amoureuses,
qui confondent l’amour avec le semblant de
l’amour ; à transférer dans la réalité, une
relation fantasmatique imaginaire.
L’approche psychanalytique permet donc de
repérer la nécessité d’une « conjonction de
deux désirs vers un seul acte » sans qu’il y
ait confusion de sentiments : elle permet
d’éclairer l’entraîneur sur l’effet du transfert
dans la relation, ainsi que la part pulsionnelle
corporelle impliquée dans l’activité sportive.
L’implication de la structure parentale
La notion de transfert nous permet d’aborder une
autre notion, qui est celle de l’implication de
la structure familiale ; c’est à dire la
relation aux autres (ceux que dans le champ
analytique, nous appelons les autres
primordiaux : père, mère, adultes ayant éduqué
l’enfant, fratrie), dont on distinguera la
relation à l’Autre (différenciations
signifiantes conséquences du discours proféré
par les parents et l’entourage significatif du
sportif). Selon Lacan (1975), le sujet est porté
par le désir des Autres : « Nous croyons que
nous disons ce que nous voulons, mais c’est ce
qu’ont voulu les autres, particulièrement notre
famille qui nous parle ».
En effet, le choix d’un sport pour un athlète
est déterminé par des liens conscients ou
inconscients formulés par les autres (ses
parents, sa famille), qui ont été incorporés.
Nombreux sont les exemples, où les enfants
étaient déjà des champions dans l’esprit de
leurs parents, bien avant de naître : Patrice
Martin, Martina Hingis qui a déclaré « Ma
mère savait déjà que je serais une championne de
tennis quand j’étais dans son ventre ».
Par ailleurs, le choix de devenir entraîneur
peut également être questionné à partir des
liens aux autres primordiaux. Le G.R.E.PAS
(1998) avait observé lors d’une étude sur les
entraîneurs experts, l’importance de la figure
du père dans la destinée des entraîneurs. Les
études de cas montrent que les entraîneurs
assument leur expertise à partir du moment où il
y a eu un dépassement du père dans leurs
histoires respectives, ce qui leur permettrait
alors de se confronter à de nouveaux conflits en
assumant pleinement les responsabilités de leurs
décisions (notamment concernant la sélection des
athlètes).
Ainsi, chaque sportif a une structure familiale
qui est le réseau de signifiants et de
significations, marquant son corps de
satisfactions diverses et qui lui compose une
histoire particulière, dont il ne peut se
déjouer. Cette histoire se crée à partir de ce
que Freud (1961) a appelé le complexe d’Œdipe,
qui voit dans l’orientation des premiers choix
de l’enfant, une structuration pour les choix
postérieurs. L’Œdipe, temps crucial pour
l’enfant, constitue un élément déterminant et
différencié selon le sexe. Le garçon, commence
par éprouver une tendre affection pour sa mère
et s’identifie en même temps à son père.
Ensuite, il éprouve une rivalité phallique
envers son père, qu’il voit en concurrent.
Le garçon sort de l’Œdipe en acceptant la
castration et en renonçant à cette rivalité.
Alors que la fille éprouve d’abord un
attachement pour sa mère et s’identifie à elle,
puis entre dans l’Œdipe en se confrontant à
l’angoisse de castration. C’est à dire qu’elle
investit son affection envers son père et
éprouve une rivalité envers sa mère. C’est
l’adolescence qui vient rappeler cette période
oedipienne et permet à l’enfant de se détacher
de sa position d’enfant-objet, protégé par la
mère et d’adopter une position, qu’il a à
construire, celle de sujet. Le choix ultérieur
se construit en fonction de la position
adoptée : « C’est en écho de cette phase de
développement que la première passion amoureuse
d’une jeune homme va vers une femme mûre et la
fille vers un homme âgé, investi d’autorité, qui
sont à même de faire vivre pour eux, l’image de
la mère et du père »(Freud, 1942). Le
complexe d’Œdipe joue un rôle structurant, car
sa résolution est la condition indispensable
pour l’accès à tous les systèmes symboliques de
la société et la construction des relations aux
autres.
Cette théorisation permet d’éclairer la relation
avec un entraîneur, lui-même investi d’une
certaine autorité : Quelle fonction va-t-il
occuper dans la vie de son entraîné ?
But de l’étude et hypothèse
Le but de cette étude est donc d’analyser à
partir de la perspective psychanalytique, la
relation qu’entretient un athlète avec son
entraîneur. On suppose alors que la relation
entraîneur-entraîné est soutenue par un
transfert qui prolonge la structuration
familiale ; elle fait lien avec la structure
familiale, tout en la dépassant puisque de cette
relation est attendue une production inédite
provoquant une structuration nouvelle. Chaque
athlète dans une relation réagira avec un
entraîneur en fonction des relations qu’il a
entretenu avec ses parents. C’est à dire que la
rencontre avec l’entraîneur suppose la poursuite
de la dialectique oedipienne pour permettre au
sujet de la dépasser.
L’entraîneur et son entraîné seraient donc
confrontés par et dans leur rencontre, à un
remaniement des processus inconscients à partir
desquels ils ont respectivement construit leur
histoire ; l’atteinte des performances désirées
en serait la conséquence.
Matériel et méthodes
Dispositif de recherche
Nous avons choisi de nous appuyer sur une
méthode qualitative de recueil des données.
L’entretien clinique semblait adapté à notre
problématique de recherche, car il concerne la
question du sujet, dans le sens où il réside
dans « la singularité et la totalité d’un
sujet, prenant simultanément en compte son
fonctionnement psychique, son mode relationnel,
l’histoire vécue, les évènements extérieurs »
(Bourguignon, 1986). Il s’agissait de saisir la
particularité de chaque athlète à travers son
histoire, par un repérage des signifiants
importants et dans ses élaborations subjectives
des relations aux autres, et particulièrement à
l’entraîneur.
Cette démarche suppose que l’implication du
chercheur soit prise en compte : tout d’abord
parce que la demande est inversée par rapport à
une démarche clinique thérapeutique, car la
demande émanait de nous. L’absence de demande de
la part du sportif, lui permettait de
s’impliquer partiellement ; tout en lui donnant
l’occasion d’exprimer son vécu, ses histoires
personnelles, ses souffrances et de valoriser
ses expériences sportives. L’écoute, du point de
vue de la recherche est distincte de celle de la
pratique clinique, car une certaine distance a
été conservée. Cependant la situation de demande
envers le sportif a permis à certains sportifs
d’inclure leurs questions personnelles et
intimes, prises dans ce processus de parole. Il
est apparu, à un moment donné, l’impossibilité
d’établir une bonne distance vis-à-vis de
certains athlètes et la nécessité de s’adapter à
la fois à notre recherche et à leurs
interrogations.
Les entretiens ont donc été limités à trois pour
chaque athlète afin que la relation de recherche
ne provoque pas une demande d’intervention
clinique.
La réflexion sur le nombre d’entretiens a pris
en compte la nécessité que la personne
interrogée et le chercheur élaborent la
problématique personnelle jusqu’à un certain
point ; ce qu’un unique entretien ne permettait
pas.
Les entretiens, semi-directifs, ont suivi une
stratégie d’intervention spécifique au cadre
théorique de la psychanalyse reprenant
l’élaboration de Lacan
[(3)] :
c’est à dire — la référence au moi Idéal (à
l’imaginaire du sportif, de l’entraîneur
idéal) ; — l’inscription dans les signifiants
familiaux (le symbolique qui fait référence à la
famille) ; — la référence au manque, au réel du
corps (ce qui de la satisfaction échappe au
sportif).
Les premiers entretiens se sont déroulés autour
de thèmes précis, basés sur nos hypothèses, afin
de dresser un portrait du sportif, de comprendre
son insertion à l’intérieur de la famille, ses
choix sportifs et l’implication dans les
relations aux entraîneurs. Les deux entretiens
suivants étaient plus axés sur des questions
spécifiques qui ont surgi lors des premiers
entretiens et qui émanaient du discours des
athlètes.
Déroulement des entretiens
La période d’entretien s’est échelonnée de fin
mars à début Juillet 2000. La prise de contact
avec les athlètes s’est effectuée pendant les
Championnats de France d’athlétisme de Liévin ;
ceux-ci ont été choisis par rapport à leur
niveau de performance. Chaque athlète a répondu
à 3 entretiens, d’une durée minimum de 45
minutes, dans des lieux divers et fixés par lui
selon sa disponibilité. Les entretiens ont été
enregistrés avec l’accord des athlètes.
Transcription des entretiens et constructions
des cas
Les entretiens ont été retranscrits dans leur
intégralité. Dans un premier temps, ils ont
donné lieu à un découpage selon plusieurs
unités : le début de l’athlétisme, les
signifiants familiaux et leur position
subjective, la place de l’athlétisme et la
confrontation au réel du corps et les relations
aux entraîneurs. L’analyse des données a d’abord
donné lieu à un récit de chaque athlète ; puis à
une interprétation de cas en prenant en compte
le lien entre les relations
entraîneurs-entraînés et la structuration
familiale. Par souci d’intérêt et par difficulté
à réduire les récits sous forme d’article, nous
avons décidé de présenter succinctement les
éléments les plus importants issus de la
construction des cas.
Présentation des sportifs
Cette étude a été réalisée avec 6 athlètes (3
garçons, 3 filles) ayant au minimum un niveau
national dans leur discipline. La moyenne d’âge
est de 25 ans pour les garçons et de 23 ans pour
les filles. Le nom des athlètes a été modifié,
selon leur accord, pour conserver leur anonymat.
Pour les garçons : Thierry, 26 ans, est
spécialiste du sprint à un niveau national ;
Antoine, 23 ans, est spécialiste des haies à
un niveau international ; Frédéric, 24
ans, est spécialiste du saut en longueur à un
niveau international. Pour les filles :
Laurence, 32 ans, ancienne internationale de
lancer de poids ; Mathilde, 21 ans,
spécialiste du javelot à un niveau national ;
Nadia, 18 ans, spécialiste de cross à un
niveau européen.
Résultats : Les récits des sportifs
Thierry s’est orienté vers l’athlétisme assez
tardivement alors qu’il ne pouvait assouvir sa
passion pour le football, à la suite d’un test
raté : « J’ai dribblé 5 personnes et au bout
d’une demi-heure j’étais fatigué (…) ça m’avait
traumatisé un peu parce que je me suis dit « si
j’ai des crises d’asthmes, je ne pourrais pas
tenir un match de 90 minutes ». Le sprint
apparaissait donc comme un effort bref et
Thierry s’est aperçu qu’il « courait beaucoup
plus vite que tout le monde » sans
s’entraîner.
Au niveau de la structure familiale, Thierry a
vécu une différence d’âge importante (5 ans)
avec ses frères ; il a toujours ressenti le
manque de n’avoir pas « grandi ensemble ».
Il cherche à jouir d’une relation privilégiée
avec sa mère, qu’il considère comme « la
femme de sa vie » et dont la place n’est pas
remise en cause « Ma mère, c’est tout pour
moi (…) Je la garde pour moi (…). Ma mère, il
n’y a personne pour la remplacer, aucune
femme ». Thierry conserve donc un
attachement très fort à sa mère en contraste
avec la relation qu’il vit avec son père. Son
père, perçu comme une figure d’autorité
« borné, égoïste » s’est souvent opposé à
son désir de faire de l’athlétisme et ne
considère son fils que par rapport à ses
compétences : « Mon père, tant que t’es pas
aux JO, t’es rien du tout ».
Thierry a connu 4 entraîneurs dans sa carrière
sportive. Le premier entraîneur est marquant car
il lui a appris la course et parce qu’il l’a mis
dans une position privilégiée : « Il avait
ses athlètes préférés plus ou moins. Moi je
rentrais dans le lot (…) On n’a pas pu finir ce
qu’on avait commencé ». Thierry part en
métropole pour retrouver un second entraîneur
avec qui la relation était très affective, qu’il
qualifie d’ailleurs « d’exceptionnel ».
Cet entraîneur l’avait recueilli chez lui et
dépassait totalement son rôle. Thierry part pour
ses études dans une autre ville et rencontre son
troisième entraîneur. Cet entraîneur est
synonyme de conflit, car il l’a identifié à son
père. Il se sentait mis à l’écart par rapport à
de « jeunes athlètes » qui avaient plus
d’importance aux yeux de l’entraîneur. La
relation qui ne lui permet pas d’avoir une
position privilégiée à l’entraîneur aboutit
alors à un conflit. Cela rejoint le fait que
Thierry voit dans un entraîneur idéal,
« quelqu’un qu’on peut considérer comme sa
famille à soi ». Il a quitté cet entraîneur
et s’entraîne depuis avec D, avec qui il a lié
une « certaine amitié ».
Antoine débute l’athlétisme à l’initiative d’un
professeur d’EPS du collège, qui lui fait passer
un test ; il se souvient avoir fini « dans
les 3 premiers ». Ce professeur l’initie à
l’athlétisme mais il ressent très tôt une
frustration qu’une relation d’amitié ne puisse
se développer entre eux : « c’était mon prof,
je ne pouvais pas me permettre d’avoir des
facilités, de dire « ben, voilà, je te serre la
main », c’était quand même assez fort les
relations qu’on avait ». Il remarque la
présence de ce professeur, qu’il met en
contraste avec l’absence du père. Il éprouve une
souffrance du manque du père réel, mais pas du
côté du père symbolique car la mère a expliqué
très tôt les raisons de son absence « J’ai
toujours été élevé par ma mère (…) J’ai pas
connu mon père ». La mère tient une place
centrale car elle a fait « le père et la
mère » et a toujours cherché à le protéger.
Plusieurs entraîneurs vont se succéder car
Antoine a changé de lieu de résidence plusieurs
fois. Il garde cependant en souvenir une
relation avec un entraîneur qui lui a donné goût
à l’athlétisme à nouveau, après avoir failli
arrêter à la suite d’un conflit avec un
entraîneur.
Antoine relate beaucoup d’histoires avec des
personnes plus âgés que lui et ayant tous une
fonction d’autorité (professeurs, entraîneurs).
Sa rencontre avec son dernier entraîneur, A, lui
marque une relation avec un homme qui s’inscrit
dans la durée. Il pense que son dernier
entraîneur lui convient car il « peux
échanger en dehors de l’athlé avec lui ».
Ses entraîneurs ont eu un rôle crucial dans sa
vie « Je pense que du fait que je n’ai jamais
connu mon père, je crois que tous mes
entraîneurs ont en partie dans ma vie remplacé
mon père ».
Frederic débute l’athlétisme par la rencontre
avec un entraîneur, qui restera son unique
entraîneur. A, le détecte lors d’une Olympiade
sportive de la ville et l’initie à
l’athlétisme : « Il m’a envoyé une lettre
chez Moi pour m’inviter dans son groupe (…)
c’est lui qui m’a fait venir à l’athlé parce
qu’il a vu que j’avais des qualités ».
De ses relations avec ses parents, Frédéric
évoque une absence de communication avec ses
parents et notamment son père. Il n’a jamais pu
s’identifier à lui, dans la mesure où il ne
connaissait rien de sa vie : « j’ai
l’impression d’avoir grandi dans une famille qui
n’était pas vraiment la mienne parce qu’en fait
je ne la connais pas ».
Sa relation avec l’entraîneur apparaît comme
comblant un manque affectif, car Frédéric
« recherchait un entraîneur qui ait une vie, une
vie à faire partager, qui ne resterait pas dans
le sport ». A, remplissait donc tous les
rôles et il est devenu un repère « père
spirituel ». Il pensait avoir trouvé en A
« ce qui lui manquait » dans sa famille ;
notamment par rapport à l’investissement que A
avait envers lui : « Il y a eu une bonne
harmonie entre nous à tel point que je passais
beaucoup de temps avec lui en dehors de
l’entraînement ». L’identification a connu
une faille lorsque son entraîneur ne l’a pas
suivi dans ses choix de vie (arrêt des études).
Au même moment, A s’est moins investi envers lui
car il a rencontré une femme. Mais la relation
va résister à cette secousse puisque Frédéric
considère que A avait le droit de se tromper
aussi, ce qui lui a permis de détacher ses
attentes affectives et de comprendre « qu’il
ne fallait plus que je compte sur les autres ».
Laurence a débuté le lancer de poids grâce à un
professeur d’EPS au lycée. Un entraîneur la
repère lors d’une compétition scolaire : « il
m’a repéré à une compétition, il a vu que
j’avais du potentiel et m’a invité à un stage ».
Cet entraîneur restera l’unique entraîneur de sa
carrière. Laurence occupe une place
significative de « dernière » de la famille,
avec un grand écart d’âge avec ses sœurs (plus
de 15 ans). Elle évoque un rapport de possession
à sa mère et une proximité pulsionnelle : elle
est son « oreille » et son « bâton de
vieillesse ». D’un autre côté, le rapport au
père est physique où elle se rappelle des jeux
qu’elle partageait avec lui « Mon père, à
chaque fois qu’il rentrait, il s’occupait de
moi » et une notion de liberté apprise :
« Mes parents m’ont toujours laissé faire ce que
je voulais ».
Elle admet que son entraîneur lui a servi de
substitut à la mort de son père au moment où
elle a perdu son repère. Pour elle, le sport a
été le prétexte à une rencontre d’un entraîneur.
La relation avec son entraîneur reposait sur une
confiance « c’était une confiance qui était
remise à l’épreuve systématiquement puisqu’une
confiance, c’est pas quelque chose qu’on donne
comme ça », jusqu’à ce qu’il parte sans
l’avertir : » Il n’a pas eu le courage de me
dire qu’il partait (…) il a eu la lâcheté de
fuir et c’est vrai que je l’ai pris comme un
abandon ». Elle a vécu cette fuite comme un
deuxième abandon et pense qu’elle est devenue
adulte à partir de ce moment-là. Elle n’a plus
recherché d’entraîneur par la suite car elle ne
veut plus reconstruire une histoire et
« s’entraîner avec quelqu’un avec qui on a une
relation construite sur de la relationnelle,
c’est difficile ». Elle considère maintenant
qu’elle est devenue « entraîneur
d’elle-même ».
Nadia a été placée dans un foyer depuis l’âge de
dix ans. Elle débute l’athlétisme par
l’intermédiaire d’un éducateur qui restera son
seul entraîneur : « il y avait un cross ici,
il a vu que j’avais du talent et après il m’a
dit « tu veux que je te prenne en main ».
De sa structure familiale, Nadia rejette tout ce
qui lui vient de ses parents « je les exclue
complètement », et considère que sa mère et
son père sont à mettre dans le « même
panier ». Elle a arrêté d’avoir des contacts
avec eux : « si tu ne t’entends pas avec tes
parents, ça ne sert à rien de continuer à avoir
des liens. On a qu’une vie et il faut
sélectionner les personnes pour vivre bien. Père
ou pas père ». Par ailleurs, la
particularité de Nadia est qu’elle se positionne
en « garçon manqué », garçon qu’elle
aurait aimé être dans sa famille d’origine
maghrébine où il y avait une difficulté à faire
de l’athlétisme quand on est une fille.
Alors O, son entraîneur est venu prolonger la
structure car il lui a appris à « vivre »,
et a permis de construire un nouveau rapport au
père qui tienne vraiment « O, c’est comme mon
père pour moi, mais à l’entraînement, ça ne doit
pas être ça (…) Je le considère comme mon père,
c’est pas le rôle qu’il veut jouer pour moi mais
c’est un deuxième papa ». La rencontre avec
O est ce que Lacan appelle une « histoire
d’amour » car elle l’a transformé en bon objet
« généreux et passionné » et qu’elle lui
suppose un savoir unique « Il n’y a que lui
qui peut savoir. Qui peut m’entraîner ».
Mais cette relation exige de l’exclusivité et
elle ne supporte aucune rivalité féminine
« Il peut entraîner un autre garçon, mais pas
une autre fille, parce que les nanas, je ne peux
pas les saquer (…) O, c’est mon coach à moi ».
L’athlétisme est devenue une « raison de
vivre » où O a pris une place
prépondérante : « Franchement, si demain, je
n’ai plus de plans d’entraînements, je n’ai plus
O… ce sera un vide, je vivrai mais pourquoi je
vivrai ? ».
Mathilde débute l’athlétisme en faisant la
rencontre d’un entraîneur, qui la connaissait
par l’intermédiaire d’un professeur d’EPS :
« J’allais dans un gymnase pour faire du hand et
j’ai croisé L, il m’a dit « tu viens faire un
peu d’athlé ». L’entraînement se poursuit
par une compétition scolaire où Mathilde réussit
« à se qualifier pour les Championnats de
France ».
Chez elle, la problématique du regard joue un
rôle important. D’abord dans sa famille, où sa
mère possessive se « voit à travers elle »,
à qui elle s’est identifiée. Comme sa mère, son
choix s’est porté vers le hand-ball et puis la
réussite en athlétisme lui a fait atteindre le
sport de haut niveau, alors que sa mère avait
été contrainte à arrêter le sport. Ce regard
maternel est pesant car il y a une nécessité
pour elle d’arriver à la hauteur des espérances
de sa mère : « Elle se revoit en moi. elle se
revoit tellement en moi qu’elle croit que c’est
elle ». Elle avoue que sa mère est
possessive et lui martèle souvent « t’es pour
moi, t’es à moi ». Mathilde vit toujours
dans le besoin de se faire « aimer » de ses
parents et vit les échecs comme une culpabilité
« je serais incapable de dire à ma mère :
« je ne me sens pas bien, je ne suis pas en
confiance ». Alors que les relations avec
son père sont plus « indéfinissables »
car elle se sent libre de tout lui dire :
« Mon père, c’est tout ». Elle se rend
compte que le regard des autres a une importance
dans la poursuite de sa carrière :« je ne
faisais pas du sport pour moi, c’était pour le
regard des autres, pour les autres, pour qu’on
soit fier de moi, surtout mes parents ».
Avec son entraîneur, seul entraîneur de sa
carrière, le regard est présent parce qu’ils se
comprennent « par un regard » mais qui
l’obsède en même temps « Dès que tu es
regardée, tu essayes de faire les choses le
mieux possible ». Il y a en même temps un
fort désir de possession et le besoin d’être
aimée ou plutôt la crainte de ne pas être
préférée par son entraîneur ; le fait d’être en
concurrence avec une autre fille lui a fait
vivre la crainte « qu’elle prenne sa place ».
Cette relation à l’entraîneur vient en retour
d’une relation à la mère où elle introduit le
fait qu’il l’entraîne parce que « tout ce
qu’il fait pour moi, c’est par passion et parce
qu’il se voit en moi ». Alors Mathilde vit à
travers les autres et n’imagine pas encore
prendre son autonomie car elle a encore besoin
de « repères » et de quelqu’un qui lui
dise « c’est bien ou c’est pas bien ».
Discussion
Cette étude a permis d’identifier dans chaque
histoire d’athlète, des particularités quant à
leur relation avec leur entraîneur. Cependant,
il semble que des structures de vie se
rejoignent sous différents aspects. Il semble
que l’entraîneur soit un prolongement de la
famille à partir d’un manque ; c’est d’ailleurs
ce manque qui permet à l’athlète de faire une
rencontre avec un autre.
La rencontre à l’entraîneur
On peut tout d’abord noter l’importance que
revêt la rencontre à un entraîneur dans la
carrière des sportifs. Chacun d’eux a eu une
rencontre déterminante pour l’engagement vers
l’athlétisme, soit par un professeur d’EPS
(Laurence, Antoine) soit par un entraîneur.
Cette rencontre est parfois précoce (comme pour
Frédéric, vers 7 ans) et peut se prolonger dans
le temps. Cela confirme ce que disait Labridy
(1989) que certains sujets se découvrent
sportifs à l’appui d’une demande (celle d’un
professeur d’EPS par exemple).
Il est important d’observer chez les athlètes
qui ont eu un seul entraîneur dans leur
carrière, que la rencontre débute sur le
repérage de l’entraîneur : Par exemple, Frédéric
qui a reçu une lettre de son entraîneur (« venu
vers lui ») ; Laurence qui a été « repéré » par
son entraîneur, qui a vu qu’elle avait du
potentiel ; Nadia qui a été détecté par son
éducateur dont il a pressenti le talent ;
l’entraîneur de Mathilde qui a « cru en son
potentiel ». L’observation de la présence d’un
unique entraîneur, rejoint le point de vue de
Ragni (1990) suggérant que les meilleures
performances sont souvent corrélées avec la
stabilité de la relation entraîneur-entraîné en
athlétisme.
Cette rencontre repose sur le désir de
l’entraîneur, d’entraîner un athlète et rejoint
l’explication donnée par Lacan (1966), du
désir : « Pour tout dire, nulle part
n’apparaît plus clairement, que le désir de
l’homme trouve son sens dans le désir de
l’autre, non pas tant parce que l’autre détient
les clefs de l’objet désiré que, parce que son
premier objet est d’être reconnu par l’autre ».
En effet, pour l’athlète, le désir de
l’entraîneur, c’est d’abord être reconnu en tant
qu’athlète, et également de pouvoir s’identifier
à ce désir. Il marque en même temps, le désir
des autres signifiants auquel le sportif
s’identifie. Le champion est ainsi le reflet du
désir de ses parents, qui le pousse à se
conformer à une image héroïque qu’il cherche à
obtenir pour lui, pour ses parents et son
entraîneur. Tous les sportifs, quels que soient
les rapports entretenus avec leurs parents, ont
évoqué leur envie de « faire plaisir » à leur
proche (parfois même seulement au père ou à la
mère) qui traduit quelque chose de leur histoire
subjective : comme par exemple, Mathilde, dont
la mère vit une relation de procuration, qui
parfois pense « qu’elle est sa fille » et qui a
peur du regard de sa mère sur sa performance.
Elle s’est fixée des objectifs qu’elle n’a pas
réussi à atteindre ; elle a été déçue par le
comportement de sa mère et a eu une difficulté à
vivre l’échec, ressenti comme un effritement de
son image narcissique.
L’entraîneur vient à la place de…
Ce désir de l’entraîneur est essentiel car il
peut venir provoquer une structuration marquante
du côté de l’athlète. L’entraîneur s’inscrit
alors dans une suite de relations et vient à la
place de « l’objet perdu ». Lacan distingue
l’objet désiré, de l’objet cause du désir : il y
a un écart entre ce qui peut être désiré (la
performance) et ce qui en cause la recherche,
qui est un manque, une perte. L’objet-cause
fonctionne par rapport à une perte fondamentale,
celle de la séparation radicale entre les êtres,
et oriente toute la vie des sujets comme une
quête de retrouvaille. L’entraîneur peut venir
occuper ou représenter à un moment donné de
l’existence du sportif, ce qui a manqué à se
structurer dans les relations familiales. Cela
se traduit pour Antoine, qui n’a jamais connu
son père et pour qui ses entraîneurs sont venus
en remplacement ; Frédéric qui a « trouvé en À
ce qui lui manquait » dans sa famille ; Nadia
pour qui la relation à son entraîneur est venue
remplacer les signifiants familiaux perdus ;
Laurence qui a vécu le départ de son entraîneur,
comme un deuxième deuil ou encore Thierry qui
entretenait un rapport privilégié avec sa mère
et désirait conserver une position de privilège
et « décalée » vis-à-vis de son entraîneur.
Ainsi l’entraîneur vient restaurer l’image
déchue d’un père, inconnu (Antoine), distant
(Frédéric), perdu (Laurence), détesté (Nadia) ou
d’une mère imparfaite (Mathilde), pour monter
sur « un piédestal imaginaire », celui qui a la
connaissance infaillible. Il faut donc repérer
chez les athlètes, à quel manque, vient suppléer
cette relation inédite avec un entraîneur. Là,
où la rencontre fonctionne, c’est là où il y a
possibilité de construction d’un rapport à
l’être « manquant ». À partir du manque, il peut
y avoir énonciation d’un désir. Certaines
relations seraient voués à l’échec dès lors que
l’entraîneur deviendrait objet du désir ; c’est
à dire que l’entraîneur occulterait le désir de
l’athlète pour le prendre à son compte. L’échec
se traduirait alors par un désir qui s’absente
chez l’entraîné au profit d’une volonté de
l’entraîneur qui s’impose à cette place. C’est
peut-être ce qu’illustre la trajectoire de
Mathilde, prise entre les désirs de sa mère et
de son entraîneur et qui cherche maintenant « sa
propre envie ».
La particularité de la relation chez les filles
Il apparaît dans le discours des filles
athlètes, une relation de « possession », par
rapport à leur entraîneur ; c’est à dire
qu’elles demandent une forme d’exclusivité
auprès de l’entraîneur, qui n’apparaît pas dans
le discours des garçons, même si la relation est
affectivement très forte. Pour les filles,
l’enjeu semble différent ; c’est à dire qu’il
leur faut cette « éventualité » d’être
l’exclusivité pour l’entraîneur, d’être
« unique » auprès de lui et donc une éventualité
d’être « aimée ». Ceci pourrait donc amener à
considérer la différence garçon-fille dans
l’entraînement. Le transfert au
« sujet-supposé-savoir » (Lacan), fonction
occupée par l’entraîneur, est à l’œuvre pour les
deux sexes, mais il y aurait peut-être le
« supposé-amour » qui pourrait fonctionner en
plus chez les filles. Cette perspective est
encore à étudier mais on peut déjà la rattacher
aux interrogations sur la différenciation
sexuelle et préciser, comme l’a supposé Freud
(1933)
[(4)],
que « d’être aimée est pour la femme un
besoin plus fort que d’aimer ».
Conclusion
Tout d’abord, il convient de préciser que la
méthode clinique et le nombre d’athlètes
interrogés ne nous permettent pas d’étendre
notre discussion dans une perspective générale,
mais permettent de dégager des structures dans
la relation entraîneur-entraîné. L’étude montre
que la difficulté de l’entraînement ne réside
pas dans la transmission de techniques ou de
connaissances mais plutôt dans une incertitude
de la rencontre : il y a quelque chose au-delà
du savoir même qui échappe à l’entraîneur comme
à l’athlète.
Dans un premier temps, l’engagement dans un
sport dépendrait de la relation qui s’instaure
avec un autre, de la façon dont l’entraîneur
réussira ou pas à partir de son désir, à laisser
l’athlète dialectiser son rapport particulier au
manque. Cela suppose que l’entraîneur construise
sa fonction à partir de ce qu’il ignore de
l’athlète et de ce qu’ils auront à découvrir
dans la nouveauté de leur rencontre.
Cette recherche suppose également de
s’intéresser à l’entraîneur et à sa formation.
Celui-ci ne doit-il pas avoir également clarifié
les raisons qui le poussent à entraîner de
manière singulière, pour ne pas confondre
l’appui pulsionnel nécessaire à la réussite
sportive avec des sentiments amoureux cherchant
à s’exercer dans la réalité.
La relation est donc le produit de deux
trajectoires subjectives, qui se rencontrent à
un moment donné de leur expérience personnelle
et sportive.
BIBLIOGRAPHIE
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sciences humaines In : C, Revault-d’Allonnes (Coord.)
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Edition Payot, Petite Bibliothèque.
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LACAN, J. (1975) De la psychose paranoïaque
dans ses rapports avec la personnalité. Paris,
Edition du Seuil.
·
LACAN, J. (1978) Le séminaire Livre 2 : le moi
dans la théorie de Freud et dans la technique de
la psychanalyse. Paris, Edition Seuil.
·
RAGNI, P. (1990) La relation
entraîneur-entraîné en athlétisme. Une demande
d’amour à transférer à la technique. Mémoire de
DEA non publié. Université de Nancy I.
NOTES
[(1)]
Adresse institutionnelle : UFR STAPS Nancy.
L.A.D.A.P.S (Laboratoire d’analyse diversifiée
des activités physiques et sportives). 30 rue du
Jardin Botanique. 54600 Villers lès Nancy.
[(2)]
John
Smith, L’Equipe du 15/01/2000.
[(3)]
Pour Lacan, l’expérience du « vivant-parlant »
s’énonce à partir de 3 registres qui se nouent :
Le symbolique organise les rapports, c’est par
l’intermédiaire du langage que se fait la
différenciation entre les sujets. L’imaginaire,
s’articule avec le réel et le symbolique, c’est
la valeur attribuée aux images, notamment celles
du corps (c’est le lieu du représentable, de
l’image du semblable où s’originent tous les
phénomènes de rivalité imaginaire). Le réel est
ce qui ne peut être nommé, ni représenté,
l’impossible à savoir, à penser, à faire, à
dire.
[(4)]
S.
Freud. (1933), « La féminité », dans Nouvelles
conférences d’introduction à la psychanalyse,
Paris : Gallimard, p. 161