Une mise à nu qui dérange

 


Après son succès à Lyon et Marseille, l'exposition d'anatomie Our Body s'installe à Paris. Et avec elle la polémique. S'agit-il de science ou de voyeurisme ?

 

De véritables corps et organes d'humains d'origine chinoise, conservés par un procédé dit de plastination sont exposés à l'air libre dans des postures de la vie quotidienne. Certains ont été sectionnés et sont présentés en tranches complètes. La spectaculaire et dérangeante exposition Our Body/A corps ouvert, venue de Hong Kong, a déjà attiré les foules à Lyon et Marseille et suscité la polémique. Avant de trouver enfin une salle parisienne, elle avait essuyé l'an dernier un refus de la Cité des sciences et du musée de l'Homme suite à un avis défavorable du Comité national d'éthique, en raison notamment de l'ambiguïté de la présentation : s'agit-il d'art ? de science ? de pédagogie ? de sensationnalisme ? On ne le sait pas vraiment et «le non-dit majeur est la prime au voyeurisme sous couvert de science et de pédagogie qui permet le camouflage de la transgression», argumente le comité. Sans compter que l'origine de ces «hommes-objets reste incertaine. On sait seulement - selon les organisateurs qu'ils proviennent de Chine et auraient fait L don de leur corps. Ils étaient manifestement dans la force de l'âge... de quoi laisser courir toutes les rumeurs. «La matière première étant rare, les anatomistes d'autrefois devaient décrocher des pendus, vider des tombes, voler des cadavres», rappelle de son côté David Le Breton (1), professeur de sociologie à l'université de Strasbourg, ajoutant que dans le cas de Our body, «la provenance des cadavres n'est pas facile à vérifier». Le succès de cette exposition de cadavres (100 000 visiteurs à Lyon selon les organisateurs), même si elle se dit «artistique et éducative», paraît surprenant. Il n'est pourtant pas nouveau, explique David Le Breton : «les dissections ont longtemps été suivies non seulement par les médecins et les étudiants, mais aussi par les bourgeois, les gens curieux. Emile Zola décrit les visites de la morgue parisienne où les badauds sont censés reconnaître des cadavres anonymes, mais viennent en fait regarder la mort de près». Au XIXe siècle, une multitude de musées, comme le musée Fragonard, à Maisons-Alfort, et ses célèbres écorchés animaux et humains, présentent des pièces anatomiques ou des moulages de maladies. «Le spectacle anatomique exerce par procuration un contrôle sur la mort, il est une manière de se sentir vivant et d'interroger simultanément le mystère de notre présence au monde. Il y a un mélange de sentiment de précarité et de puissance», analyse le sociologue.
Le visiteur se dit : «Je ne suis que cela, mais je suis encore bien vivant !» et cette mort contrôlée, mise en spectacle, perdrait ainsi son aspect terrifiant. «De fait, nos sociétés dénient la mort réelle. Expulsée du quotidien, elle revient en force sous la forme de ce type de spectacle ou dans les films gore par exemple», conclut David Le Breton.
Our Body. A corps ouvert, Espace 12, 12, boulevard de la Madeleine, Paris, jusqu'au 10 mai.

Dominique Padirac

(1) Auteur de la Chair à vif. De la leçon d'anatomie aux greffes d'organes, Métailié.
 

 

Repères

La plastination consiste à remplacer les fluides corporels contenus dans les tissus par des polymères qui gardent intactes les structures les plus fines comme les nerfs et les vaisseaux sanguins.Il faut plus de mille heures de travail pour plastiner un corps humain.


 

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